Recherche
Chroniques
Charles Gounod
Cinq-Mars
Fin janvier 2015, Munich, Vienne puis Versailles accueillaient la redécouverte d’un des derniers opéras de Charles Gounod, Cinq-Mars, relatant la disgrâce du favori de Louis XIII et son exécution. L’ouvrage fut créé à l’Opéra Comique un 5 avril 1877. Léon Carvalho, directeur de l’institution depuis sept mois, s’était démené pour que Gounod composât pour lui un nouveau chef-d’œuvre, à l’égal de Faust, Mireille et Roméo et Juliette que le même Carvalho avait créés au Théâtre Lyrique. Si l’accueil de Cinq-Mars fut favorable, l’opéra ne perdura pas au répertoire des grands théâtres, contrairement au trio gagnant précédent.
Heureusement, le Palazzetto Bru Zane (PBZ) veille à ressusciter les compositeurs et les œuvres injustement délaissées. En effet, il est incompréhensible que cette partition, qui n’a rien à envier à ses illustres devancières, soit complètement tombée dans l’oubli, à l’exception de la somptueuse cavatine de Marie, Nuit resplendissante et silencieuse, encore à l’affiche de rares concerts. On y retrouve pourtant tous les thèmes musicaux chers à Gounod, présents dans son trio gagnant. L’amateur du grand compositeur parisien se plaira à reconnaître, ici et là, les réminiscences de ses œuvres plus fréquentées. Les airs et ensembles dévolus à chacun des protagonistes sont superbes, même s’ils font moins d’effet que ceux de Faust. Les ensembles sont percutants et martiaux au troisième acte, tandis que le deuxième, tout en carte du Tendre vénéneuse et conspiratrice chez Marion Delorme, préfigure la Manon de Massenet. La relation entre le Marquis de Cinq-Mars et Monsieur de Thou n’est pas sans évoquer Carlos et Posa dans le Don Carlos de Verdi, tous deux périssant à la fin de l’intrigue.
Alors, pourquoi une telle désaffection ?
Plusieurs hypothèses : la première serait la faiblesse de l’action dont le contenu aurait vite lassé un public très républicain depuis la chute de Napoléon III… On raconte que Carvalho, mécontent du peu d’entrain du chœur des conspirateurs à chanter ces couplets dignes du plus ardent royalisme (Sauvons le Roi, la noblesse et la France), leur aurait conseillé d’imaginer chanter La Marseillaise. Cela aurait produit le meilleur effet…
Le livret de Louis Gallet et Paul Poirson, inspiré un peu trop librement du roman d’Alfred de Vigny (1826), ne s’embarrasse pas de vérités historiques. Ainsi, le terrible et diabolique Père Joseph du Tremblay, éminence grise du Cardinal de Richelieu, était-il décédé quatre avant Cinq-Mars et donc bien incapable de le faire tomber dans le piège fatal qui l’attendait. De même Louis XIII et le Cardinal, qui devraient s’affronter, en sont-ils quasiment absents.
Mais la vraie problématique vint plutôt de la distribution de la création. Carvalho n’avait obtenu que des chanteurs débutants, aux voix incapables d’effets spectaculaires, comme en offraient les rôles de Faust ou de Marguerite. Le marquis est un ténor léger peu vocalisant, Marie de Gonzague un soprano lyrique ni colorature ni dramatique. Quant à de Thou, la partie en était logiquement destinée à un baryton, mais, faute d’en trouver un digne de l’assumer, elle fut réécrite pour un ténor.
Pour son premier enregistrement intégral, Cinq-Mars a finalement eu de la chance.
Ulf Schirmer et son Münchner Rundfunkorchester, qui commencent à être des habitués du répertoire romantique français, font ici merveille, sachant admirablement alterner les tensions du drame politique avec les ballets alanguis de l’acte des courtisanes.
Ténor léger, Mathias Vidal a l’exacte vocalité du créateur du rôle-titre, même si l’on attendait plutôt un ténor lyrique. Il remplace avantageusement le ténor étasunien Charles Castronovo qui avait assuré la présentation de l’œuvre au concert [lire notre chronique du 29 janvier 2015], et qui était souffrant lors des prises de son. Véronique Gens campe une Marie de Gonzague de grande classe et semble plus engagée que dans sa prestation versaillaise. Elle a le phrasé, la noblesse et la diction idéals pour un rôle facile pour elle. Lui aussi coutumier des productions du PBZ [lire nos critiques des CD Saint-Saëns, Dukas et Godard, entre autres], Tassis Christoyannis est parfait en ami sincère qui se sacrifie avec le héros. On retrouve les mêmes qualités de beau chant à la française, tel qu’il nous en a toujours gratifié.
Le reste de la distribution, y compris dans ses plus petits rôles, est exemplaire. On appréciera la puissance et la diction d’André Heyboer en Vicomte de Fontrailles auquel est dévolue une très attachante chanson populaire, On ne verra plus dans Paris. Andrew Foster-Williams est fort convaincant en Père Joseph, sorte de Grand Inquisiteur. Marie Lenormand en Ninon de L’Enclos et Jacques-Greg Belobo dans le rôle très épisodique du Roi sont excellents, tout comme la délicieuse Norma Nahoun en Marion Delorme.
Une admirable résurrection dont on espère qu’elle ne sera pas sans lendemain et qu’elle inspirera nos directeurs de théâtre qui ne semblent retenir de Gounod que Faust et Roméo et Juliette.
MS